Le soir du 31 octobre 1954, les rues d’Algérie semblent figées dans un calme qui précède la tempête. À minuit, le lundi 1er novembre, cet apaisement est brutalement rompu par des attaques coordonnées à travers le pays, marquant le début de ce qu’on appellera plus tard la « Toussaint rouge ». Ce premier jour de novembre signe le début de la révolution algérienne, et les actions armées, organisées par le Front de Libération Nationale (FLN), sont menées avec une efficacité déconcertante. Les journalistes, aussi bien en Algérie qu’en France, sont réveillés d’urgence, et les radios internationales relayent les informations qui émanent de ce conflit inattendu.
En Algérie, des cibles militaires et stratégiques sont frappées dans plusieurs régions, témoignant d’une organisation méticuleuse et de l’intensité de la détermination des militants. Dès les premières heures, des responsables politiques et des généraux en France prennent la parole, tentant de minimiser les faits et affirmant qu’il ne s’agit que de quelques « brebis galeuses » en quête de notoriété. Cependant, cette nuit-là, le FLN va non seulement briser le silence d’une Algérie dominée, mais il marquera aussi le début d’un mouvement de libération qui influencera les générations à venir.
La Déclaration du 1er Novembre : L’Acte Fondateur de la Révolution
Parallèlement aux attaques armées, la Déclaration du 1er novembre est publiée et distribuée dans des rédactions de l’Hexagone, envoyée aux plus grandes radios et journaux internationaux. Ce manifeste marque une rupture radicale avec les approches réformistes, exposant clairement les objectifs du FLN : la fin de la colonisation française en Algérie et l’établissement d’un État algérien libre et indépendant, fondé sur des principes démocratiques et égalitaires.
L’appel du FLN cherche à rassembler toutes les forces vives de la nation, sans distinction de classe, d’ethnie ou de religion. Il se démarque des précédents appels nationalistes en posant des exigences précises et intransigeantes. Le message est clair : la voie de la réconciliation pacifique est épuisée, et seule la lutte armée permettra de mettre un terme à plus d’un siècle de colonisation. Cette Déclaration ébranle les Français, qui commencent à comprendre que cette insurrection est bien plus qu’une simple émeute isolée.
Les Premières Réactions en Algérie et en France : La Surprise et l’Incrédulité
Alors que les nouvelles des premières attaques se répandent, des sentiments contrastés se font jour en Algérie. Pour la population algérienne, majoritairement illettrée, les informations proviennent essentiellement des radios. La rumeur se répand rapidement dans les villages et les quartiers populaires, et les commentaires fusent. Certains y voient l’espoir d’une révolte enfin organisée, d’autres, plus sceptiques, estiment que ces insurgés sous-estiment la puissance de l’armée française. Mais, peu à peu, l’idée prend forme que ces actions concertées ne peuvent être le fruit d’une simple improvisation : elles incarnent une volonté longuement mûrie.
Les autorités françaises, quant à elles, oscillent entre mépris et incrédulité. Les services de renseignement procèdent immédiatement à des arrestations massives au sein du Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques (MTLD), le parti nationaliste dirigé par Messali Hadj, leader historique du nationalisme algérien. Mais les interrogatoires musclés n’apportent aucune information sur les commanditaires de ces actions. Les services de renseignements français, qui pensaient avoir infiltré tous les partis politiques et les associations d’Algériens, peinent à comprendre comment ce mouvement leur a échappé.
Le FLN : L’Émergence d’un Leadership Révolutionnaire
Le Front de Libération Nationale est né dans un contexte de dissidence interne au sein du MTLD. Convaincus que seule la lutte armée pourrait permettre à l’Algérie de se libérer, un groupe de 22 militants se réunit en juin 1954 pour établir les bases d’une insurrection armée. Parmi eux, six leaders se démarquent : Mohamed Boudiaf, Larbi Ben M’Hidi, Mustapha Ben Boulaid, Krim Belkacem, Mourad Didouche, et Rabah Bitat. Ce « Groupe des Six » a pour mission de concevoir et d’organiser les premières opérations qui déclencheront le soulèvement général.
La structure de la révolution est pensée avec précision. Chaque région, ou wilaya, est dotée d’un chef militaire chargé de coordonner les attaques et de recruter des volontaires. Le FLN s’appuie sur des réseaux clandestins pour faire passer des informations, collecter des fonds et s’approvisionner en armes. Grâce au soutien de pays voisins, le FLN parvient à obtenir des armes et un appui stratégique qui seront cruciaux dans les premières années du conflit.
Les Premiers Mois de Combat : Une Guerre de Volonté et de Résilience
Les attaques initiales du 1er novembre sont suivies de mois difficiles pour les insurgés, qui subissent une répression brutale de la part de l’armée française. Pour le FLN, l’objectif n’est pas seulement de mener des actions militaires, mais aussi de gagner la confiance de la population algérienne, en lui offrant une alternative crédible aux solutions réformistes et légalistes. À cet égard, la révolution algérienne adopte une approche de guérilla, frappant rapidement puis se dispersant, tirant parti de la connaissance du terrain et du soutien de la population locale.
Malgré des moyens limités, le FLN réussit à infliger des pertes considérables aux forces françaises et à maintenir une présence active dans les montagnes, les forêts et les villes. Les maquis se multiplient, et chaque succès renforce le moral des combattants. La stratégie du FLN s’affine et gagne en efficacité, et la guerre devient progressivement une question de volonté et de résilience, chaque camp cherchant à épuiser l’autre.
L’Impact International : Une Révolution Qui Rayonne Au-Delà des Frontières
La révolution algérienne ne tarde pas à susciter un large soutien international. L’Égypte de Gamal Abdel Nasser, alors chef de file du mouvement panafricain et anticolonial, ouvre ses portes aux leaders du FLN, offrant un sanctuaire et une plateforme pour faire entendre la voix des Algériens au niveau mondial. Des représentants du FLN, tels que Aït Ahmed, Ben Bella et Khider, se rendent régulièrement au Caire, où ils parviennent à mobiliser les opinions publiques et à obtenir un appui crucial, tant matériel que diplomatique.
D’autres pays africains et arabes, en particulier ceux qui viennent de gagner leur indépendance comme le Maroc et la Tunisie, voient en l’Algérie un modèle de lutte pour l’émancipation. Le FLN devient une source d’inspiration pour des mouvements de libération à travers le continent africain, en Asie et en Amérique latine. En parallèle, les Nations Unies et des intellectuels en Europe commencent à condamner les exactions de l’armée française, dénonçant les méthodes de torture, les regroupements forcés de villages, et les atteintes aux droits humains.
Une Guerre d’Usure et un Prix Humain Dévastateur
Avec le temps, le conflit s’intensifie. L’armée française, forte de ses effectifs et de ses moyens, recourt à des méthodes de guerre psychologique et de répression pour affaiblir le moral de la population algérienne. Les zones rurales, en particulier, deviennent le théâtre de violents affrontements, tandis que des milliers de villages sont rasés, et des regroupements de civils sont forcés pour priver les maquis de soutien logistique. La population algérienne, prise en étau, endure des souffrances indescriptibles, tandis que les pertes humaines augmentent des deux côtés.
Pourtant, la détermination des Algériens ne faiblit pas. Le FLN et son bras armé, l’Armée de Libération Nationale (ALN), continuent de se battre, bien conscients du sacrifice inévitable pour atteindre la liberté. Les familles se voient déchirées, des centaines de milliers de personnes deviennent des réfugiés, et l’Algérie se transforme peu à peu en un champ de bataille où la France perd non seulement ses ressources, mais aussi son prestige international.
La Victoire et l’Héritage de la Révolution
Le 5 juillet 1962, après des années de souffrances, l’Algérie obtient enfin son indépendance, mais au prix de lourdes pertes humaines et matérielles. Plus d’un million et demi d’Algériens sont tombés en martyrs, tandis que des millions d’autres restent marqués par des traumatismes indélébiles. Les cicatrices laissées par la guerre perdureront, mais le peuple algérien émerge de cette épreuve en ayant gagné non seulement son indépendance, mais aussi sa dignité et son identité.
L’Impact de la Révolution sur l’Algérie et le Monde
L’indépendance algérienne, proclamée en juillet 1962, résonne bien au-delà des frontières du pays. Sur le continent africain, elle représente un triomphe contre l’impérialisme et l’injustice coloniale, inspirant de nombreux peuples sous domination étrangère à suivre le chemin de la libération. Pour l’Algérie, ce combat symbolise bien plus qu’une victoire militaire : c’est une victoire morale, politique et spirituelle, qui redéfinit l’identité nationale autour de valeurs de résistance et de solidarité.
Les effets de cette révolution marquent la société algérienne de manière profonde et durable. À l’indépendance, la nation entreprend des efforts titanesques pour reconstruire un pays ravagé, réformer ses institutions, et instaurer des politiques d’éducation et de santé qui répondent aux besoins d’une population encore largement rurale et marquée par des décennies d’inégalités. L’État algérien, sous la direction du FLN, met en place des réformes économiques axées sur le développement des secteurs industriel et agricole, tout en nationalisant les ressources naturelles du pays pour en assurer le bénéfice au peuple algérien. L’indépendance ne marque donc que le début d’un nouveau combat, cette fois pour la construction d’une société équitable et prospère.
Sur la scène internationale, l’Algérie nouvellement indépendante s’impose rapidement comme un acteur clé des luttes anticoloniales et du mouvement des Non-Alignés. Dans les années 1960 et 1970, elle devient un lieu de rencontre pour les militants de libération du monde entier, des révolutionnaires d’Afrique australe aux militants palestiniens. Les dirigeants algériens, profondément marqués par leur propre expérience de la colonisation, prônent un soutien inconditionnel aux peuples opprimés, consolidant ainsi le rôle de l’Algérie comme bastion de la solidarité internationale.
Le Legs Intangible de la Révolution
L’empreinte laissée par la révolution algérienne dans la conscience collective du pays est inaltérable. Elle incarne un symbole de courage, de sacrifice et d’unité, et demeure une source inépuisable de fierté nationale. Chaque année, les Algériens célèbrent le 1er Novembre comme le jour où le peuple s’est levé contre l’oppression, renforçant un sentiment d’appartenance commune et d’héritage partagé. Les générations futures se nourrissent de ce récit héroïque, qui continue de guider les idéaux de liberté, de justice et de souveraineté au sein de la société algérienne.
Enfin, l’impact de la guerre d’indépendance reste perceptible dans la mémoire collective des deux côtés de la Méditerranée. En France, ce passé colonial complexe a engendré de profondes réflexions et débats, influençant les politiques envers les anciennes colonies, mais aussi les relations avec les descendants des Algériens en France. Quant à l’Algérie, elle garde toujours en elle cette histoire douloureuse qui, au-delà des blessures, témoigne de la puissance de la volonté d’un peuple à briser ses chaînes.
Ainsi, l’insurrection du 1er novembre 1954 demeure, bien des décennies après, un exemple de résistance face à l’injustice, et un rappel pour les peuples du monde qu’aucune domination n’est éternelle lorsque le désir de liberté l’emporte sur la peur. La révolution algérienne a servi d’exemple pour tous les peuples qui se battent pour leur liberté. « C’est la révolution algérienne qui a fait de moi un homme », a déclaré le héros sud-Africain, Nelson Mandela.
Que pensent les algériens du 1er novembre :
Les jeunes algériens ne savent pas c’est quoi le prix de leur indépendance. Des femmes et des hommes ont donné leur sang pour que vive l’Algérie. Que de sacrifices consentis pour que les enfants algériens puissent étudier, se soigner et travailler librement dans leur pays. Ils ont tout de même une vague image de la révolution de leurs pères et grands-pères. Ils ont suivi des émissions à la télévision. Ils ont lu des livres. Les plus chanceux ont écouté les récits des acteurs de cette révolution. « Une scène du film la bataille d’Alger m’a marquée à vie. C’est la scène de la mort d’Ali La Pointe, Hassiba Ben Bouali, M’Hamed Bouhamidi et du petit Omar. Ali Amar, le plus âgé du groupe, avait 27 ans. Hassiba et M’Hamed avaient chacun 19 ans. Petit Omar à peine 13 ans. Ils ont offert leur sang et leur jeunesse pour que je puisse devenir médecin spécialiste », dit une gynécologue. Elle ajoute : « j’ai vu cette scène deux fois et je n’ai pas cessé de pleurer. Depuis, j’évite de la revoir ». Rachid, un trentenaire du quartier de la Casbah est lui aussi marqué par la scène d’un autre film sur la guerre d’Algérie. « Je ne cesse de voir pour apprendre à être un homme. Dans le film la Bataille d’Alger, le capitaine français jette une cigarette par terre et demande à un moudjahid emprisonné. Son ami emprisonné aussi, lui lance : Ali meurt debout. Les deux moudjahidine seront exécutés sur le champ. Les moudjahidines savaient comment mourir : debout ».
Un jeune élève du primaire est lui aussi au courant de l’histoire de son pays. « L’école où j’étudie était une caserne de l’armée durant la guerre de libération. Elle est devenue une école où j’apprends les sciences. Mieux encore, elle porte le nom d’un Chahid qui est passé par ce camp. Il s’appelle Mesbahi Hamidou et c’est un enfant de Saoula» ; dit un élève en 5e année. Une autre élève de cette école, est pour sa part bavarde. Elle tient à nous parler de Hassiba Ben Bouali que sa grand-mère a connu personnellement. « Ma grand-mère m’a dit que Hassiba était très belle. Elle trompait l’ennemi car elle se faisait passer pour une européenne. Ma grand-mère l’a cachée quelques jours dans un refuge à la Casbah où habitaient mes grands-parents ».
Les jeunes en général se sentent fiers quand ils évoquent le 1er novembre 1954. « Je suis chômeur. J’habite encore chez mes parents. Nous avons toutes les commodités de la vie. Mes grands-parents habitaient dans des gourbis avant l’indépendance. Je les ai connus et ils m’ont tout raconté. Ils ne savaient ni lire ni écrire et cela, ils ne l’ont pas supporté jusqu’à leur mort », témoigne le petit-fils d’un officier de l’ALN dans la willaya 4.
Les personnes qui ont connu le premier novembre 1954 sont rares aujourd’hui. Originaire de Biskra, Belkacem a quitté son village natal à la mort de son père pour rejoindre son oncle qui habitait à la Casbah d’Alger. « Nous vivions dans une misère noire. Mon oncle paternel était porteur au marché de Djamaa Lihoud. En 1954 ; j’avais 8 ans. L’école n’était pas faite pour les algériens à cette époque. Pour gagner un peu d’argent, j’aidais les pieds noirs à porter leurs commissions. Ils achetaient sans compter et c’était une punition pour un enfant de voir tant de victuailles auxquelles il n’avait pas droit », se rappelle Belkacem. Il revient à la charge : « La nuit du dimanche 31 octobre, j’avais dormi très tôt pour commencer le travail à 7h. En allant à Bab El Oued, un policier m’a donné un coup de pied et m’a ordonné de rentrer à la Casbah. Mon frère âgé de 6 ans a été lui aussi molesté. Nous sommes rentrés chez nous. Ce jour-là, nous avions mangé du pain rassis sec ». Malgré les soixante-dix-ans qui le séparent de cette scène, il a les larmes aux yeux en se rappelant les faits. « La différence entre le colonialisme et l’indépendance, c’est la différence qu’il y-a entre le jour et la nuit. Je peux aller où je veux et personne ne m’arrêtera. J’ai travaillé et j’ai pu acheter un magasin à Bab El Oued et ce sont mes enfants qui le gèrent aujourd’hui ».
Par : Saïd Ibrahim
Post Comment