Loading Now

LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

Tlemcen : Docteur Abdelouahab Baghli rappelle les conditions de l’assassinat du Docteur Benaouda Benzerdjeb   

LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

Tlemcen :

Docteur Abdelouahab Baghli rappelle les conditions de l’assassinat du Docteur Benaouda Benzerdjeb   

M.H.

01-2-1024x768 LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

Pour une vérité historique et une réalité mémorielle de l’assassinat du Dr Benaouda BENZERDJEB, nous avons pris contact avec le Docteur Baghli Abdelouahab pour nous rappeler les conditions de la mort du martyr. Il s’agit d’un médecin , tombé au champs d’honneur.

Ce long entretien nous renvoie à l’histoire et l’Histoire d’un médecin, ayant sacrifié toute sa vie à la cause algérienne. Il nous présente plusieurs marqueurs de vérité et de réalité pour l’enrichissement du parcours du médecin, assassiné, d’une part et les événements historiques de la guerre de libération nationale d’autre part.

La Nation Arabe : Sachant bien votre profession libérale de médecin, comment êtes- vous arrivé à travailler le parcours du Docteur Benaouda Benzerdjeb, un médecin, tombé au champ d’honneur ?

Dr Abdelouahab Baghli : comme j’étais président de l’Association des parents d’élèves du lycée Dr BENZERDJEB, de l’année 1990 à 1998, je me suis fait un devoir de connaitre la vie de ce martyr autant pour pouvoir répondre à une éventuelle délégation en visite que pour pouvoir satisfaire une question posée par un lycéen.

 La Nation Arabe : Comment avez- vous fait pour collecter toutes ces informations ?

Dr Abdelouahab Baghli : je me suis adressé alors à sa famille dans le but d’être informé au mieux. C’est sur la base des documents qui m’ont été confiés par son frère Mohamed, professeur de mathématiques, que j’ai écrit cette biographie.

02-4-png LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

Il   est nécessaire avant d’entamer l’étude sur la participation du chahid, le Dr Benaouda BENZERDJEB à la lutte de libération nationale, de jeter un bref coup d’œil sur la situation et sur l’état d’esprit qui régnait en Algérie avant le 1er Novembre 1954.

La Nation Arabe : Merci pour cette idée que nous trouvons très intéressante pour le passé de ce médecin , tombé au champ d’honneur. Que pouvez-vous  nous ajouter ?

Dr Abdelouahab Baghli : le peuple Algérien musulman, appelé alors indigène était :

  • En majorité un peuple rural, composé de journaliers agricoles, de khammès exploités par les colons et vivant dans la misère. Leurs enfants n’avaient pas accès à l’école et constituaient le lumpenprolétariat.
  •  D’un autre côté la population citadine était composée d’artisans, de commerçants, de petits agriculteurs et d’enfants qui étaient soit des cireurs soit des porteurs entre autre.
03-2-jpg LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

La Nation Arabe :  Et , puis ?

Dr Abdelouahab Baghli : il y avait une toute petite minorité de grands commerçants et de propriétaires terriens : les fellahs (la famille BENZERDJEB en faisait partie).

Les enfants de la ville, les garçons seulement, accédaient à l’école et leurs études s’arrêtaient au certificat d’études, à titre indigène. Les enfants des privilégiés, ceux de la petite bourgeoisie indigène avaient le droit de passer le certificat d’études européen.

Mais , à l’époque, il y avait une autre catégorie qui pouvait poursuivre ses  études secondaires au Collège De Slane ( actuellement Ibn Khaldoun) , avant la construction du Lycée de Garçons de Tlemcen. Voulez-vous nous gratifier de quelques informations sous la forme d’explications ?

La Nation Arabe : Voulez- vous nous éclaircir cette question ?

Dr Abdelouahab Baghli :Si. Un concours d’accès en 6 ème (actuellement 7 ème année fondamentale) était instauré pour pouvoir s’inscrire   au secondaire, il constituait pour l’indigène un véritable barrage.

Cependant, très peu d’enfants de cette petite bourgeoisie, qui grâce à leur travail assidu arrivaient à passer au travers de ces filtres ségrégationnistes et le jeune Benaouda en faisait partie.

La Nation Arabe :  Donc , il y avait le baccalauréat. Y –a- t-il un complément d’information ?

Dr Abdelouahab Baghli : le baccalauréat constituait une autre épreuve de racisme, exprès la note de Français au-dessous de 5 était éliminatoire.

Une fois ce diplôme acquis, les jeunes bacheliers n’avaient pas le droit d’accéder à toutes les branches (ils pouvaient prétendre être instituteurs pour le bled, avocats, médecins, pharmaciens et c’est tout)

Par contre toutes les filières scientifiques étaient permises à la communauté européenne, composée d’Israelites, de Français, d’Italiens, d’Espagnols… La nationalité française accordée à l’indigène était un privilège rare réservé à quelques personnes bien triées sur le volet et qui pouvaient alors accéder aux avantages dont jouissaient les Européens.

02-3-png LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

La Nation Arabe : Pour cela, nous pensons à un système d’exclusion, instauré à Tlemcen. Quels serait les marqueurs de ce système discriminatoire ?

Dr Abdelouahab Baghli : c’était un régime d’exclusion, on inscrivait, pour la traçabilité, sur la carte d’identité « français indigène, musulman non naturalisé ». Par cette « précaution », l’Arabe, au cas où il était de type européen, ne pouvait échapper aux discriminations.

Beaucoup de livres ont été écrits sur l’exploitation de l’indigène par l’Européen et la jeunesse algérienne se doit de les consulter.

04-1-png LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

La Nation Arabe : Pouvez-vous nous confirmer cette source de revendication d’ordre patriotique ou socio sociétale ?

Dr Abdelouahab Baghli : c’est ce qui a conduit les Algériens à revendiquer   leur dignité bafouée parfois dans le sang (révoltes des régions), parfois en essayant de se conformer à la légalité. Quelques associations constituant la société civile et des partis politiques vont émerger et s’engager dans la protestation.

La Nation Arabe : sur la base de ce que vous venez de nous donner comme explications et illustrations, voulez- vous nous parler du docteur Benaouda Benzerdjeb ?

Dr Abdelouahab Baghli : né le 9 février 1921 à Tlemcen, Benaouda a dû affronter tous les obstacles scolaires sus énumérés. Ses capacités intellectuelles vont lui permettre de les franchir un à un.  Il poursuit ses études jusqu’au Baccalauréat à l’ex Collège de SLANE (C.E.M. IBN KHALDOUN actuellement).

Excellent élève et très brillant en Allemand, il obtint le premier prix de tout le département d’Oran et gagne un voyage en Allemagne. (Le choix de l’Allemand comme deuxième langue n’était pas fortuit, il répondait à son admiration pour le peuple allemand.)

Puis, il décroche avec succès le baccalauréat série mathématiques en juin 1941.

Alors, dans sa jeunesse tlemcénienne, Benaouda milite au sein du parti de l’UDMA présidé par Ferhat Abbas.

Il décide de s’inscrire aux études de médecine.

La Nation Arabe : Voulez-vous passer à son cursus universitaire ?

Dr Abdelouahab Baghli :  en 1942, il s’inscrit au niveau de la faculté d’Alger pour entamer sa première année de médecine (P.C.B). Il décroche avec succès son premier diplôme universitaire.

En 1943, il décide de poursuivre ses études, cette fois-ci en France où il était quasiment impossible de s’y rendre à cause de la guerre. Il avait pourtant toutes les facilités pour continuer ses études médicales à Alger : sa famille était aisée, ce qui le débarrassait du souci matériel. D’autre part, partir en France c’était se détacher entièrement et de sa famille et de ses amis qu’il aimait beaucoup. En effet la France, sous occupation allemande, était coupée de toute communication avec l’Algérie.

Qu’importe, mû avant tout par son esprit nationaliste, et malgré les recommandations répétées émises par ses proches, il s’embarque clandestinement en France et se fait inscrire à l’université de médecine de Montpelier.

La Nation Arabe : Comment s’est –il adapté aux études supérieures, en France pour pouvoir parler de ses années montpelliéraines ?  

Dr Abdelouahab Baghli :  dans son épopée européenne, Benaouda intègre le parti du P.P.A/M.T.L.D. de MESSALI Hadj.  Son adhésion à cette structure était motivée par la vision juste de ses revendications politiques, entre autre celle qui réclame l’indépendance totale du pays.

Son premier réflexe après son inscription, a été donc de prendre contact avec ses compatriotes nord africains, pour la plupart tous nationalistes, militants, acquis aux thèses du P.P.A.

Sur le plan financier, comme il connaissait parfaitement la langue allemande, il a pu se débrouiller plus ou moins sans l’aide de sa famille. Dans cette France occupée par les Allemands, on n’arrivait pas à lui envoyer de l’argent pour qu’il puisse subvenir à ses besoins. La vie était d’une manière générale extrêmement difficile pour tout le monde. Il a été confronté, à plusieurs reprises à des situations précaires. C’est ce qu’il fit savoir aux siens lors de son séjour vacancier en Algérie en 1945. Ses proches se sont sentis coupables en prenant connaissance des déboires auxquels il a été  exposé.  

05-1-png LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

La Nation Arabe : connaissant aussi son déplacement jusqu’à Paris, pouvez-vous nous parler de ses années parisiennes ?

Dr Abdelouahab Baghli :  il se rend ensuite à Paris, où il se fait inscrire en 3 ème année de médecine. Il s’installe dans cette capitale où se trouvaient le fleuron de la jeunesse algérienne et son cœur battant représenté par l’association des étudiants   algériens : A.E.M.AN. (qui deviendra U.G.E.M.A en 1955 ). Leur local était situé au 115 Bd St Michel à Paris. Benaouda est alors désigné comme secrétaire principal et trésorier de cette organisation. Cela ne l’empêche pas de poursuivre toujours aussi brillamment ses études.

La Nation Arabe : Aurait-il pensé à faire une autre spécialité ?

Dr Abdelouahab Baghli :  Si. Parallèlement à ses études de médecine, il s’est fait inscrire pour une formation de puériculture.

Il obtient son diplôme de Doctorat en Médecine en Août 1949 avec le titre de « Lauréat ».

Il regagne le domicile familial et avec l’aide pécuniaire de sa mère née BENOSMANE Fatéma (dite Lalla F’téma) qui vendit une partie de ses biens : avec cette contribution de sa mère, il a pu s’installer et ouvrir en 1949 un cabinet de médecine générale où il s’occupait principalement des maladies infantiles.  Il ne tardera pas à se faire une clientèle de choix à la fois européenne et algérienne musulmane.

La Nation Arabe :   Et , puis ?

Dr Abdelouahab Baghli : permettez-moi de parler des deux plans comme suit :

Sur le plan social :

De nature, il était discret et modeste.

Aucune pression ni familiale, ni amicale n’arrivait à le décider à se marier.

Sur le plan politique :

Médecin installé, il prit une part active dès le déclenchement de la lutte armée. Ce sont des va et vient   incessants entre la ville et la campagne. Il lui arrivait souvent, de s’absenter la nuit et de ne rentrer que très tard vers l’aube. Son but était de créer à l’intérieur des grottes, des structures devant servir d’une part de dépôts pour le stockage d’armes et des munitions et d’autre part pour recevoir ou même hospitaliser les futurs malades et/ou blessés de la révolution

En effet, il faisait faire des courses à son frère Mohamed pour l’achat de benzine destinée à la fabrication de bombes locales, tout en lui intimant l’ordre de n’en souffler mot à personne.

D’ailleurs, un jour, empruntant son itinéraire en pleine campagne, il avait à répondre, lors d’un contrôle effectué    par une patrouille de la gendarmerie, quant à la présence d’un chargement de médicaments, de coton et de pansements qui se trouvaient dans sa voiture pleine à craquer. Sans perdre son sang-froid   et bien calmement, il leur dit qu’il avait à soigner des malades dans un village voisin mais qu’il ne connaissait pas la route qui y menait. Le caducée médical, fixé sur le pare-brise avant de sa voiture, rassura les gendarmes qui se sont fait un devoir de lui indiquer le chemin qui menait à ce village. Souvent aussi, il sortait à la campagne avec ses petits neveux (BENMANSOUR Mohamed, Réda, HADJ KADDOUR Abdelhak…) pour détourner les soupçons.

06-1-png LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

La Nation Arabe : pendant la guerre de libération nationale, qu’est –elle devenue sa situation vis-à-vis des contrôles d’identité, opérés par la gendarmerie puisqu’il se trouvait hors du milieu urbain ?

Dr Abdelouahab Baghli :  en pleine révolution, il redouble ses activités clandestines et continue à alimenter le maquis en matériel médical et en armement, et à soigner les djounouds blessés.

 Il lui arrivait   très souvent de recevoir dans la maison familiale un ou deux invités venus de la campagne, il n’admettait personne s’approcher d’eux : c’étaient des moudjahidines.

La Nation Arabe :  surement, il y a un nombre d’anecdotes à nous rapporter ?

Dr Abdelouahab Baghli :  pour la petite histoire et pour rappeler certains évènements qui vont certainement faire sourire nos compatriotes Tlemcéniens pour l’avoir vécu et qu’ils ont depuis certainement enfoui dans leur subconscient :

Alors que la guerre fait rage, un mot d’ordre avait été donné en 1955 à la population de Tlemcen de ne pas se teindre les mains et les pieds avec du henné pendant la fête du mouloud Ennabaoui. Ceci en guise de solidarité et par respect aux souffrances qu’endurait la société musulmane en cette période de soulèvement populaire.

Un   cireur a été blessé aux pieds avec une lame, une femme qui avait enfreint la consigne. Elle n’hésita pas à appeler la police qui se saisit de l’enfant et qui le conduit en même temps que l’agressée chez le Dr BENZERDJEB pour lui délivrer un certificat médical de   constatation de blessure et pour prodiguer des soins conséquents.

Car l’incident a eu lieu juste en dessous de son cabinet médical. Les policiers sont restés avec le cireur dans la salle d’attente et la femme seule avec le médecin . Il lui fait un pansement et lui conseilla de dire aux policiers que le cireur n’avait pas fait exprès. Ce qu’elle fit et le cireur fut relâché.

Le médecin   était d’un courage et d’une audace sans pareils. Sa prise de conscience précoce dès l’âge de 16 ans pour la cause nationale, ses responsabilités politiques en France, son niveau intellectuel, le peu de personnes engagées à cette période qui a précédé la lutte armée   ont en fait de lui, l’un des principaux acteurs de la wilaya V.

La Nation Arabe : pouvez-vous nous parler de l’engagement du Docteur Benaouda Benzerdjeb  dans la révolution indépendantiste ?

Dr Abdelouahab Baghli : Si. Son engagement pour la lutte de libération n’était pas uniquement médical. C’était un chef politique, un grand responsable qui s’investissait :

  •  Sur le plan de la logistique en   alimentant le maquis non seulement en médicaments, mais également   en y stockant    des bombes artisanales.
  • Sur le plan politique, il prenait des décisions de grandes importances comme celle entre autres d’envoyer le Dr HAMIDOU Fethi vers l’Egypte pour une formation.

A part son frère, personne, même    ses amis de Tlemcen les plus intimes n’étaient pas au courant de ses activités politiques, jusqu’au jour où la fatalité le fit tomber dans un piège.

La Nation Arabe : omment le médecin, Dr Benaouda Benzerdjeb, est-il tombé dans un piège que vous venez d’évoquer ?

Dr Abdelouahab Baghli :  il se déplaçait souvent à Oran pour rendre visite à son ami et confrère Dr BENSMAINE Mohamed. Ils étaient tous deux militants du P.P.A et d’instinct, ils tombèrent d’accord pour créer une clinique qui pourra accueillir les djounouds et les fidaïynes blessés lors du déclenchement de la révolution. Cette clinique va voir le jour à « Courbet » et sera appelée « Echifa ».

Il décide d’acheter une ronéo devant servir à publier des tracts et de les distribuer aux citoyens pour les sensibiliser. Il se présente donc, dans son véhicule personnel, chez un libraire du nom de Laurent FOUQUES à Oran. Il se procure la machine sous le nom de la « librairie BEDJAOUI ». Il ne voulait mettre personne au courant de cet achat.

La Nation Arabe : comment ?

Dr Abdelouahab Baghli :  dès que le Docteur a quitté le magasin, le concessionnaire européen, s’est fait un devoir d’aviser la police de Tlemcen, car l’instrument était considéré en cette période de guerre comme dangereux, étant qualifié d’outil de subversion. La police a vite fait d’identifier l’acheteur qui possédait selon les indications transmises « un monsieur possédant une voiture de marque allemande ».

Ce fut donc très facile, de retrouver son propriétaire qui était le seul à posséder cette marque à Tlemcen. Le lendemain, elle se rend à son domicile, procède à une perquisition et trouve les preuves tangibles de sa participation à la lutte armée : elle venait de découvrir le pot aux roses (benzine, coton, pansements en grande quantité, mais pas d’arme).

Comment est terminée cette perquisition ?

Dr Abdelouahab Baghli :  c’était le début du weekend , samedi 14 janvier 1956. Il fut embarqué et gardé à vue durant deux jours et deux nuits consécutifs. Pour un complément d’information, Mr BERBER Mohamed Séghir qui a été arrêté et torturé au moment même de l’arrestation du docteur BENZERDJEB déclare : « j’ai été déposé par les policiers presque sans vie, à l’heure du couvre-feu en haut de la rue des frères BENCHEKRA à hauteur du cinéma colisée, (actuellement transformé en cinémathèque). J’ai trainé des heures durant pour arriver à la maison paternelle. Recueilli par ma famille, je leur ai annoncé sur le champ que le docteur BENZERDJEB vient à peine de mourir à la suite des tortures qui lui ont été infligées.)

Je ne le pense pas : primo les Tlemcéniens de souche, les jeunes des grandes familles, lorsqu’ils étaient arrêtés étaient plus ou moins ménagés lors des premières années de la révolution, et encore moins quand il s’agissait d’un cadre ; secundo si le Docteur a été martyrisé, il ne lui aurait jamais été permis de rejoindre son cabinet dans un état où il serait défiguré !

La Nation Arabe : quelle est , selon vous, la preuve ?

Dr Abdelouahab Baghli :  pour preuve, le lundi 16 janvier, début de semaine, il demanda à la police de lui permettre de se rendre à son cabinet médical afin de soigner des malades urgents avec lesquels il avait rendez-vous. Il savait qu’il pouvait y rencontrer des moudjahidines qui venaient souvent et régulièrement le voir pour prendre des consignes.

C’est sous le motif de la consultation, qu’ils se présentaient habituellement bandés de faux pansements à la main. Accompagné de deux agents de la sureté, il est emmené à son bureau médical, les agents eux sont restés dans la salle d’attente.

Il consulte quelques malades parmi lesquels un « moutassil » DALI YOUCEF Kouider (fonctionnaire de la mairie, employé comme chef du parc communal situé près de la gare), le bras bandé pour se faire passer pour un fracturé.

Ce dernier lui propose de sortir par la cuisine (sortie à part) sans être vu, une voiture était là, il lui était facile d’échapper à la surveillance des inspecteurs. Le Docteur refuse et lui remet par contre une lettre destinée aux moudjahidines d’Ouled H’lima.

En effet, en prenant connaissance à postériori, des évènements qui se sont succédés,

J’imagine que le Docteur voulait tendre une embuscade aux services de sécurité qui devaient l’accompagner au P.C d’Ouled H’lima. Cette manœuvre, si elle avait réussi, aurait été inscrite en lettre d’or dans les annales de la guérilla algérienne. Le docteur voulait probablement rejoindre le maquis non sans avoir fait un pied de nez aux soldats en emportant armes et bagages dont avaient besoin les djounouds ?

La Nation Arabe :   et , puis, encore ?

Dr Abdelouahab Baghli :  le mardi 17 janvier 1956, l’inspecteur de police judiciaire BENAHMED Yahia voit , à huit heures du matin, le Docteur sortir du commissariat de police accompagné du commissaire VALENTINI, des inspecteurs de police SCOTT et LASCAR, du brigadier de police judiciaire Allal EL HADDAD et de MARIN (le chauffeur). Ils se sont embarqués dans une Citroën, je me suis dit : « ça sent mauvais, pourvu qu’ils ne tombent pas dans une embuscade ! ».

Le lendemain, dans l’après-midi du mardi 17 janvier, un policier se présente au domicile du Docteur. Il demande à voir la mère de Benaouda, dès que celle-ci se présente, il lui annonce que son fils a tenté de fuir et qu’il a été abattu par un gendarme au douar « Ouled Halima », près de Sebdou.

La Nation Arabe : comment le Docteur Benaouda Benzerdjeb est –il enterré ?

Dr Abdelouahab Baghli :  le Docteur a été enterré à 4 H du matin par l’armée.

La Nation Arabe : à  la suite de cet assassinat odieux et en cachette policière, que c’est – il passé à Tlemcen, la ville natale du docteur Benaouda  Benzerdjeb ?

Dr Abdelouahab Baghli :  l’assassinat du Dr BENZERDJEB , mort en martyr, est considéré parmi les pages les plus émouvantes qu’a connues la cité Zianide. Elle est   à consigner dans son livre d’or.  Tlemcen a juré de venger son fils. La peur, enfouie depuis des décades   n’attendait qu’une étincelle pour se transformer en brasier. C’est le jour qui a fait basculer tous les Tlemcéniens sans exception dans les rangs de la lutte armée.

 C’était une révolte au sens noble du terme organisée par l’un des principaux artisans du mouvement révolutionnaire à Tlemcen, Sid Ahmed INAL (professeur d’histoire et de géographie l’un des rares diplômés de la Sorbonne).

Dans son parcours à travers les artères, les rues et les ruelles qui conduisaient la population vers le cimetière « Cheikh Senouci », les manifestants ont bravé les soldats, les colons en scandant des slogans hostiles à l’occupant et en réclamant l’Indépendance. Ce cortège avançait au début sans commettre aucun délit ni vol ni saccage des magasins d’ailleurs quelque fois désertés par leur propriétaire.

Toute fois arrivés près du cimetière, les esprits des contestataires se sont surchauffés et les manifestants s’en sont pris à une maison d’un Français, en malmenant les grilles du portail. Au sous-sol de cette demeure, se trouvait une cave servant d’atelier où des jeunes employées Algériennes filaient la laine. 

Affolé, le propriétaire, Mr RENARD a pris son fusil de chasse et a tiré pour faire « peur ». Malheureusement un jeune homme a été touché, il trouvera la mort.  Il s’agit de BELKAID dit « El Harfoul ». Ce sera Melle Fatéma MECHICHE, future héroïne de la guerre d’Algérie, qui enveloppera avec son haïc le corps étendu par terre, gisant dans une mare de sang. Le Français se confiant plus tard à des amis algériens avoue qu’il aurait fortement regretté son geste.

A titre d’information complémentaire, Fatéma MECHICHE, habitait Riat El Hammar. Elle avait pour voisin les familles GAOUAR, les Abi AYAD, les MERAD BOUDIA (dont Kheir Eddine le professeur de cardiologie) …. Elle sera l’épouse du Colonel LOTFI, tombé au champ d’honneur. Elle est veuve à 20 ans. Elle se remariera avec Mohamed KHEMISTI, Ministre des Affaires Etrangères du 1er  gouvernement de l’Algérie indépendante et qui sera assassiné 6 mois plus tard.

Pour les Tlemcéniens, à ce moment il ne s’agit ni plus ni moins que d’une autre victime tombée sous le feu colonial, ce qui va exacerber leur colère.  Ce martyr jalonnera sans discontinuité le sang tlemcénien   qui coulera à flot et ce jusqu’à l’Indépendance nationale. Il y aura ce jour-là, beaucoup d’arrestations, parmi lesquelles figurera, le jeune GAOUAR Abdelaziz, âgé de 13 ans, qui sera condamné à 5 ans et placé dans une maison de rééducation , pour atteinte à la sécurité de l’Etat !

La Nation Arabe : quelle était la réaction de l’administration coloniale à Tlemcen ?

Dr Abdelouahab Baghli : l’administration   française a compris l’importance du message populaire. Devant l’ampleur des évènements, elle va tenter de juguler la colère par l’instauration le jour même d’un couvre- feu décidé à 16 heures. En fait ,il sera mis en place et pour de longues années.

Dorénavant, toutes les familles tlémcéniennes sont acquises au mouvement révolutionnaire et vont plébisciter de bon cœur l’engagement et même accepter le sacrifice d’un ou plusieurs de leurs enfants pour la libération du pays.

Malgré, les multiples mesures répressives, la France coloniale ne connaitra désormais plus la paix. Elle sera malmenée, elle se verra dépassée par les actions retentissantes des fidaïyines, des moudjahidines, et ceci sans interruption jusqu’à l’indépendance.

La mort du Dr Benaouda BENZERDJEB va galvaniser le sentiment d’Indépendance et va contribuer à la naissance de dizaines de héros.

Le Docteur, quant à lui, en se sacrifiant, a fait don de sa vie pour la cause nationale.

 La Nation Arabe : il parait qu’il y a eu un déplacement jusqu’au lieu de l’assassinat du Docteur Benaouda Benzerdjeb ?

Dr Abdelouahab Baghli :  le 18 février 2022, à l’occasion de la commémoration de la journée nationale du Chahid, l’association des randonneurs « BAGHLI Hadj Mohamed » sous la férule du Professeur BELKAID Mohamed ; s’est déplacée sur les lieux de l’assassinat du Dr Benzerdjeb à Ouled H’lima, plus exactement dans un lieu appelé « Chebika ».

Nous étions environ une dizaine de personnes hommes, femmes et enfants en visite pour la circonstance dont MM KHELLIL Lotfi, CHENNOUFI Brahim, son fils, son gendre et son petit-fils, BENZERDJEB Benaouda (neveu du martyr), BELKAID Mohamed, BELKAID Moudjib Errahmane, BELKAID Moulay Ahmed, BELKAID Anes Abdellah, BOUDGHENE STAMBOULI Lokmen et bien d’autres femmes dont Mmes BOUAYAD AGHA Wafaa, BOUAYAD AGHA Rafika, SEKKAL Aouicha, MESSAOUDI Ammaria, AISSAOUI Lamia, CHENNOUFI.

La Nation Arabe : voulez-vous nous rapporter un détail relatif à votre arrivée sur les lieux ?

Dr Abdelouahab Baghli :  arrivés sur les lieux, nous avons été accueillis par la famille BENSAHA :  Mohamed, Miloud, Brahim, des petits enfants des, neveux…

Une stèle majestueuse à la mémoire du chahid a été construite, très attractive par son reflet d’un blanc éclatant, elle est surmontée d’une grande photo du Docteur (offerte par Mr BENSAHA Miloud), au centre de l’édifice un récit commémoratif comportait la date exacte de l’assassinat soit le 17 Janvier 1956 et non pas le 17 janvier 1958 comme il est gravé par erreur sur la tombe du Docteur au niveau du cimetière « Chikh Senouci ».

Non loin, est bâtie une demeure carrée assez grande, de construction ancienne typiquement rurale qui servait de centre de repli pour les moudjahidines. En effet, de par sa position géographique elle offrait un site à convergence triangulaire reliant Sebdou au sud, Ouled Mimoun à l’Est et Tlemcen au nord et bien au-delà. C’est là que se rencontraient les responsables qui, d’après les membres de la famille venaient pour la plupart de l’Est du pays. Ce sont ces responsables de l’Est qui auraient suggéré au docteur d’acheter une ronéo. C’est ici au nord-ouest de l’édifice qu’une « bekhera » à même l’édifice a été creusée pour recevoir les blessés que le Dr Benaouda venait pour soigner et c’est là où il emmagasinait les produits pharmaceutiques qu’il ramenait de Tlemcen.

 La Nation Arabe : quelle était la réaction des personnes qui vous ont accueillis sur les lieux ?

Dr Abdelouahab Baghli :  nos hôtes étaient très touchés par notre présence, heureux d’être écoutés, de pouvoir se confier et de pouvoir exprimer un vécu historique qui est le leur et qui connait désormais un retentissement national.

La Nation Arabe : voulez- vous nous en  parler de la stèle érigée à la mémoire du docteur Benaouda Benzerdjeb ?

Dr Abdelouahab Baghli :  la stèle commémorative nous a servi de tribune.  Le Pr BELKAID Mohamed ouvre la cérémonie d’accueil, il nous souhaite la bienvenue. Il s’agit de la commémoration dit-il, d’un fils de Tlemcen tombé au champ d’honneur pour que l’Algérie se réapproprie son indépendance. Comme lui, il y a des milliers d’Algériens femmes et hommes à travers le pays qui grâce à leur courage, à leur abnégation, à leur amour de la patrie se sont sacrifiés. Ils ont livré un combat héroïque mettant en déroute l’ennemi. Malgré l’acharnement de la France classée 4ème   puissance mondiale, soutenue dans ses moments difficiles par l’OTAN, les combattants Algériens ont mis en désarroi l’ennemi qui a été obligé de s’en aller avec armes et bagages.

 Nous remercions les autorités de la wilaya qui ont édifié cette stèle ce 17 Janvier 2022 en souvenir du premier médecin algérien tombé au champ d’honneur. Nous remercions également la famille BENSAHA, dont le nom est lié à l’éternité à celui du Dr Benaouda BENZERDJEB. Il s’agit  d’une famille révolutionnaire, engagée bien avant le premier novembre 1954, puisqu’elle a permis et ouvert ses portes au Docteur qui venait emmagasiner dans une « bekhera », construite à cet effet, les instruments de chirurgie, les produits consommables en prévision de la révolution qui ne va tarder à se déclencher.

Nous sommes fiers également de leurs enfants nourris à l’amour de la patrie, puisque depuis l’édification de cette stèle, chaque jour un enfant hisse le drapeau algérien. Dieu merci le message est passé.

07-1-png LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

La Nation Arabe : devant cet événement historique, que voulez- vous nous dire sur la famille BENSAHA ?

 Dr Abdelouahab Baghli : Mr BENSAHA Miloud nous souhaita la bienvenue et rappela les grands évènements qui ont jalonné ce lieu. Nous n’avons jamais pensé que cet endroit sera inscrit dans les pages de l’histoire glorieuse de l’Algérie. C’est ici que le Docteur venait, rappelle l’orateur, accompagné pour la forme d’une ribambelle de gosses qu’il amenait pour soit disant se délasser, dans le fond c’était pour soigner les blessés.

Dès qu’il arrêtait le moteur, on courait pour couvrir sa voiture pour ne pas être repérée par un avion de reconnaissance. Nous l’aimions beaucoup à cause de son volontarisme, de son amour pour le pays, Il avait tout pour vivre heureux, il était médecin ; il avait de l’argent une position sociale enviée, il a préféré s’engager dans le combat pour que l’Algérie soit indépendante. C’était un grand patriote : c’est ici que le Dr BENZERDJEB, près de cet olivier où nous sommes regroupés qu’il a rendu son dernier soupir abattu par un gendarme qui prétendit que le docteur a tenté de fuir. Le gendarme qui l’a abattu a été sévèrement réprimandé sur place.

Mon père Ba Kaddour enfermé dans la même chambre que le docteur a subi des tortures durant toute la journée.  Gloire à nos martyrs !

La Nation Arabe :  voulez-vous nous parler de quelqu’un ou  de son témoignage ?

Dr Abdelouahab Baghli :  Puis c’était de BENSAHA Mohamed (83 ans) pour son témoignage :

J’avais à l’époque 17 ans. Une voiture de police débarque près de notre maison un peu avant neuf heures du matin et se gare à l’entrée de la ferme. Debout à environ 15 mètres dans l’allée bordée d’arbres qui menait à notre ferme. Je vois le Docteur avec des policiers sortir du véhicule, il est introduit directement dans la bâtisse, d’autres policiers sont allés chercher mon père Boumédiène alias Ba Kaddour son nom de guerre.

Ils ne l’ont pas trouvé. Ils viennent vers moi et me demandent « où est ton père ? ».

Je répondis qu’il se trouve à Tibedrine, région située à 8 km environ où notre famille possède une propriété terrienne. Ils me prennent manu militari avec eux pour leur indiquer le chemin. Tout au long du trajet, un militaire me tirait les cheveux avec des tenailles en me posant la question « où est la machine, machina ? ».

Je ne comprenais ce que signifiait le mot machine, ne l’ayant jamais entendu au paravent. Nous n’avons pas trouvé mon père, en fait, il est revenu à la ferme sur sa mule, de son propre chef, empruntant un autre chemin.

Arrivé sur les lieux, il est conduit à la chambre où se trouvait le docteur. Il y a eu confrontation entre les deux hommes. Cet interrogatoire va durer jusqu’à 17 heures environ entrecoupé par des séances de confrontations et de tortures.

Il était axé sur la ronéo. A la fin de ce supplice, on fait sortir le docteur de la chambre pour être dirigé à l’extérieur de la bâtisse. En dehors de l’enceinte, il eut peut-être un mouvement incontrôlé, désespéré par tant de tortures infligées à son ami, il sera criblé de balles pour tentative de fuite par un gendarme.

Il tombera par terre et va commencer à convulser baignant dans une mare de sang. J’entends un policier qui crie mécontent de ce que vient de faire le gendarme. Aussitôt les policiers écartent les enfants et les placent en dehors de cette vue macabre. 

La police et les militaires plient bagage en prenant le cadavre. Les moudjahidines prévenus depuis plus de 24 heures sont arrivés en retard, bien après la mort du docteur. Pendant leur repli, ils ont échappé à un affrontement armé au niveau des habalates, lors du retour vers Tlemcen des policiers et du convoi de militaires qui les accompagnait.

Mon père Ba Kaddour sera remis aux mains de la police du 2ième  bureau de Sebdou ; puis jugé à Tlemcen où il sera condamné à deux ans de prison.

 J’ai été convoqué par la justice le même jour de l’audience de mon père pour être écouté. Le juge a répété la même désolation en disant « le gendarme n’aurait pas dû faire ça ».

La Nation Arabe : un mot pour conclure, cet entretien que nous trouvons très important pour l’Histoire et la Mémoire du Docteur Benaouda Benzerdjeb.

Dr Abdelouahab Baghli :  pour terminer , nous avons un témoin oculaire encore vivant. C’était à mon tour de rappeler la biographie du docteur, un sujet que je connaissais très bien et qui me passionnait pour avoir étudié sa biographie. En effet le hasard a voulu que je sois président de l’« association des parents d’élèves du lycée Dr Benaouda BENZERDJEB » et qu’à ce titre je me sentais obligé de reprendre sa biographie pour ne pas être pris au dépourvu au cas où je serais interpelé par un lycéen ou par une délégation en visite dans notre établissement.

08-1-png LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

A la fin des interventions, nous avons été invités à déguster un thé savoureux accompagné de gâteaux traditionnels locaux.

Nous avons clôturé notre randonnée historique par une visite des lieux, tour à tour dans la chambre où les deux amis ont été torturés, dans la cuisine où ont été préparés des milliers de repas servis dans la joie pour la bonne cause, dans la cour où des centaines de moudjahidines et des moudjahidates,  venus d’horizon divers se sont donnés la main peut être pour la première et peut être pour la dernière fois.

A l’extérieur, la trappe de la « bekhera » a été fermée.

Les héritiers ont tous déclaré que cette demeure ne sera pas partagée, elle sera dédiée à la mémoire de leur père, du docteur ainsi que de l’ensemble des chouhada.

Nous sommes maintenant sûrs et certains que le Docteur a été lâchement assassiné dans ce lieu d’Ouled H’lima qu’il fréquentait assidument.

La Nation Arabe : Docteur Baghli Abdelouahab , nous tenons à vous remercier  pour ce témoignage .Merci pour ce travail !

09-png LA NATION ARABE A LA RECHERCHE DES TEMOIGNAGES

Powered By EmbedPress

Post Comment