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Abdelkader Alloula…le lion d’Oran

Abdelkader Alloula…le lion d’Oran

M.H

AbdelkaderAlloula est un enfant du pays, né le 8 juillet 1939 à Ghazaouet, ex Nemours, dans l’actuelle wilaya de Tlemcen, pour ceux qui ne connaissance pas l’ancienne appellation de son  lieu de naissance.

 Reconnu comme un homme de théâtre populaire, très apprécié artistiquement, pour son verbe , ses gestes et surtout la qualité de la mise en scène de ses pièces de théâtre. Il a été un  des grands dramaturges oranais,  algériens, voire maghrébins.

Oran a été sa ville d’adoption, de sa vie et de son parcours artistique : la ville où il avait  longuement vécu son art, la ville qui l’a vu grandir dans le théâtre et ses rencontres avec les hommes du théâtre.

 Il tenait un verbe qui lui permettait de faire apprécier le théâtre ; il savait animer ses rencontres, les journées techniques, les journées d’études, des journées scientifiques, des colloques, des séminaires, au niveau local, régional, national et international.

 La langue de ses pièces de théâtre était dans la langue parlée, un parler croustillant, en provenance du dialecte algérien d’un côté et de l’ouest algérien ( ex Oranie) en particulier.

 Par son théâtre, il ne cessait de défense sa langue dialectale et la culture de ses ancêtres. D’ailleurs, il est arrivé à mettre en scène des pièces classiques, du théâtre international pour les uns et universel pour les autres. Il aimait transcrire les textes classiques dans la langue populaire : Goldoni, Molière, Brecht, etc.

Au déclenchement de la guerre de la libération nationale, il était encore lycéen. Deux années plus tard, il intègre la troupe « Eshabab » où il fit ses débuts dans le théâtre.

Puis, il intègre le Théâtre National d’Alger où il avait passé plusieurs années avant de rejoindre le Théâtre Régional d’Oran.

 Des chercheurs lui reconnaissent l’art  et le théâtre : « Plusieurs thèmes traversent, écrit Lamia Bereksi-Meddahi,  le théâtre d’Abdelkader Alloula :

  • Le dialogue constant entre l’ancienne et la nouvelle génération. Ce que nous retrouvons dans les pièces Les Dires, Les généreux.
  • L’esprit de dévoiler ce qui est tu, est retrouvé dans Le voile. Toute la trame narrative se construit autour du personnage de Berhoum, qui œuvre corps et âme pour réparer la machine à fabriquer du papier. Objet qui permet de rendre toute trace indélébile.
  • La lutte pour subvenir aux besoins quotidiens. Inspirée de tâam li koulfam (à manger pour chaque bouche) de Tewfik el-Hakim, Alloula écrit El khobza, une pièce qui relate le quotidien périlleux d’un écrivain public.
  • Le combat contre la bureaucratie est omniprésent dans les pièces El-Aleg et El wajib El watani.
  • La différence des classes sociales est perceptible dans la pièce Houtyakoulhout(les grands poissons mangent les petits). »

D’ailleurs, « les sujets traités dans les pièces d’Abdelkader Alloula témoignent, ajoute Lamia Bereksi-Meddahi,  d’une générosité émanant de l’écoute de la société. Un pouvoir de parole est concédé à ceux qui n’ont pas la possibilité de dire ce qui ronge leur vie. Tous les personnages émanent d’une situation déjà vécue. Il ne traite d’aucun milieu sans s’y être inséré temporairement. Enquêtes et analyses sont à la base de son travail. Tournant le dos au théâtre aristotélicien, Alloula opte pour un théâtre d’interlocution sociale qui ne sacrifie pas l’esthétique. »

Il est membre fondateur et initiateur de plusieurs projets culturels et humanitaires jusqu’à la décennie noire.

Comme à l’accoutumée, pendant le mois sacré de Ramadhan, il animait des conférences à travers plusieurs endroits et lieux de la culture : la dernière en date, le jour de l’attentat, il venait de sortir de chez lui, sur la rue de Mostagemen, alors qui allait se rendre au PACO ( Palais des Arts et de la Culture d’Oran) . Il est décédé, après avoir été à l’hôpital du Val de Grâce(Paris, France), le 14 mars 1994 à la suite des grandes blessures, de l’attentat du 10 même mois. D’ailleurs, il avait reçu des balles dans l’après Ftour, du mois sacré de Ramadhan.

A sa disparition, AbdelkaderAlloula a laissé :

  • Une veuve
    • Trois enfants
    • Une œuvre théâtrale.

A sa mort, son public lui reconnait qu’il  a été :

  • Un auteur confirmé.
    • Un réalisateur imposant
    • Un homme de théâtre, plein d’écriture
    • Un artiste engagé.
    • Un metteur fécond et producteur
    • Un comédien versé dans son art .
    • Un dramaturge, ayant adapté plusieurs pièces du grand répertoire international :
      • «les Bas-fonds» de Gorki 
      • «le Manteau» de Gogol 
      • «Arlequin, serviteur de deux maîtres» de Goldoni
      • Des œuvres de Brecht

 Ses collaborateurs étaient nombreux dont :

  • Kateb Yacine
    • Les comédiens du TNA et du TRO

Il était , comme Kateb Yacine, l’un des défenseur du théâtre algérien et  du théâtre de rue, avec :

  • la «halqa» (cercle d’auditeurs)
    • le «goual» (griot)

Abdelkader Alloula  a été metteur en scènes de plusieurs pièces de théâtre  dont :

Abdelkader Alloula, acteur de cinéma dans plusieurs films dont :

  • Les Chiens – par Chérif El Hachemi(1969
  • Ettarfa – par Chérif El Hachemi(1971
  • Combien je vous aime – par Azzedine Meddour(1985
  • Tlemcen – par Mohamed Bouamari(1988
  • DjanbouResk – par Abdelkrim Baba Aïssa(1990
  • Hassan Nia – par GhaoutiBendeddouche(1990

Participation d’Abdelkader Alloula aux différents spectacles :

  • Les Enfants de la Casbah
  • Hassan Terro
  • Le Serment
  • Don Juan

Ouvrages d’Abdelkader Alloula :

Le ciel est serein

Alger, ENAL,1989, 168 p.

(roman)

Le Miracle de la Tafna

Alger , ENAL ,1989 ,89 p.

(essai)

Ouvrages sur Abdelkader alloula

– “En mémoire du futur ; pour Abdelkader Alloula”

Paris , Sindbad, 1999,250 p.

 (  témoignages)

Galou …Galou !  sur AbdelkaderAlloula

M.H.

Premier extrait

A Paris : « D’abord transporté à la Salpêtrière, Abdelkader Alloula avait été, rapporte F. Germain Robin transféré vendredi au Val-de-Grâce. Plus d’une centaine de personnes ont assisté lundi après-midi à la levée du corps. Au nom du Parti communiste français, Lucien Marest, membre du Comité national, a présenté ses condoléances à la famille »

« Acteur lui-même, il avait effectué des recherches, écrit Françoise Germain –Robin,   sur les modes d’expression traditionnels et tenté de réhabiliter la «halqa» (…) et le «goual» (…) dans le théâtre algérien. Metteur en scène fécond, il détenait le record des représentations pour une de ses pièces «Ladjouad», joué 400 fois en Algérie et à l’étranger. Limogé de la direction du Théâtre national algérien (TNA) en 1976, pour avoir refusé d’appliquer les directives du ministère de l’Information et de la Culture, il s’était replié sur le théâtre régional d’Oran dont il avait pris la direction. Il y avait ouvert des ateliers pour amateurs. »

Deuxième  extrait

 « (Abdelkader) Alloula, Kateb Yacine et Mustapha Kateb n’avaient cure de ces reconnaissances officielles ou de ces hommages pour morts que l’on célèbre ici et là dans le silence mortel des cimetières et dans l’indifférence totale de ces petites gens qui investissent la représentation de ces auteurs et qui articulent leur intérêt politique. Alloula a pensé son théâtre en fonction du quotidien de la grande foule trop marginalisée à son goût et trop exclue des travées de la décision politique et sociale portée par un discours de clan et de zaouïa. » (Ahmed Cheniki)

Troisième extrait

« Abdelkader Alloula s’intéressait, en premier lieu, aux formes populaires et aux performances de l’acteur. Le gouwal et la halqa étaient les deux structures autour desquelles s’articulaient la recherche et la réflexion de cet auteur qui tenta de transformer radicalement la structure théâtrale. L’intérêt porté pour le conteur n’est nullement une sorte de lecture archéologique de formes populaires dévalorisées et marginalisées, mais une tentative de mettre en oeuvre un théâtre total qui donnerait à la parole et au verbe une fonction essentielle, celle de théâtraliser les faits et les actions. » (Ahmed Cheniki)

Quatrième  extrait

« Le conteur investit toute la représentation, prend en charge les instances spatio-temporelles et répartit les différentes variétés de la parole qui structure les contours immédiats de la scène. Il délimite les lieux de la représentation et esquisse les traits pertinents des personnages. Sa fonction fondamentale est de narrer et de raconter à un public des histoires et des récits qui captivent son attention et qui l’incitent à être partie prenante du procès narratif. Il se confond avec le comédien ou plutôt engendre un double, un personnage syncrétique, ambivalent. Il est à la fois narrateur et acteur. Il raconte tout en jouant. C’est un double regard qu’il porte sur les faits et les choses, du dedans et du dehors. » (Ahmed Cheniki)

 Cinquième extrait

« (…) une expérience concrète avec un public paysan lors de la présentation de sa pièce El-Meïda (La table basse) en 1972 dans un village du même nom dans l’Ouest algérien qui le poussa à repenser sa vision du théâtre et à entreprendre une réflexion, à l’origine de la réalisation de pièces comme Legoual, Lejouad et Litham. Il avait, à l’époque, constaté que le public entourait le plateau, ce qui incita les comédiens et les machinistes à supprimer graduellement les éléments du décor et à laisser l’espace vide. El-Meïda constitua un sérieux tournant dans le travail de Abdelkader Alloula. Les spectateurs de ce village reculé de l’Ouest algérien, Aurès El-Meïda, démystifièrent en quelque sorte cet espace qui finit par étouffer toute nouvelle possibilité d’expression. On se sentait à l’étroit. Alloula était donc à la quête d’un lieu qui conviendrait à son public-cible et qui l’aiderait à poser les problèmes sociaux et politiques du moment. Le public populaire était l’élément central de la quête de Alloula. Il déterminait les lieux de la recherche et définissait les contours de l’univers scénique. » (Ahmed Cheniki)

Sixième extrait

« Il  (AbdelkaderAlloula) nous expliquait ainsi en 1982 son entreprise esthétique dans un entretien qu’il nous avait accordé à l’époque : « Nous nous rapprochions graduellement du meddah. Celui-ci est, dans la tradition, un personnage seul, solitaire qui raconte une épopée en utilisant la mimique, le geste, la phonation. On refaisait la jonction avec un type d’activité théâtrale interrompue par la colonisation. A partir de là, nous avons pu comprendre le type de théâtre dont a besoin notre peuple, et c’est une chose très importante ». Donc, ce sont les lieux de la réception qui orientaient son écriture. C’est le « peuple » qui est l’élément central autour duquel s’articulait la représentation. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il fait appel au conteur populaire. L’acteur qui devait, en quelque sorte, constituer le centre de la performance spectaculaire était obligé de se familiariser avec l’expérience du conteur populaire et de maîtriser les aspects essentiels du comédien classique. On avait affaire à un incessant va-et-vient entre deux univers dramatiques, deux expériences dramatiques et deux modes d’agencement narratif. Contrairement à certains metteurs en scène et dramaturges arabes et africains, Alloula n’était nullement séduit par un hypothétique retour aux sources, mais il tentait de développer une expression qui rassemblerait dans une seule attitude dramatique les attributs et les fonctions des deux expériences dramatiques. » (Ahmed Cheniki)

Septième extrait

« Alloula n’a jamais renié ses engagements ni ses positions. Ce qui provoquait l’ire de ses adversaires qui n’avaient, il faut le reconnaître, ni le panache ni l’aura de cet homme qui avait une extraordinaire maîtrise des jeux de la scène et de ses territoires diachroniques. Il n’arrêtait pas de déranger les fortunes amassées à l’ombre de discours hypocrites, globuleux, les responsables corrompus et les ministres bavards qui ne cessaient pas de ronronner dans d’interminables sermons visqueux alors que le « peuple » crevait la dalle. Ses pièces exposent le mal de vivre d’une société algérienne trahie par ses clercs et ses pouvoirs et mettent à nu les « bâtards des bâtardises » qui ont dépouillé le pays de ses innombrables richesses. « El-Khobza », « Laaleg » comme « Lejouad » ou « Homk Selim » mettent au jour l’ineffable Algérie toujours en sursis et ne supportant toujours pas le paternalisme abscons de dirigeants confortablement installés. Le personnage principal d’El-Kobza, l’écrivain public, Si Ali, raconte dans ses lettres le quotidien merveilleux de ces gens qui expriment simplement et sans artifices leur mal-être. Comme d’ailleurs Djelloul L’fhaïmi qui plonge le spectateur dans son univers boiteux et singulier. Le comique et le rire deviennent les armes favorites de ces personnages populaires qui rient franchement des chefs du jour. MohZitoun, le Djeha des pièces de Kateb Yacine, dégonflait déjà en usant d’un humour caustique et sarcastique les baudruches vénales en décomposition avancée de ces messieurs bien placés, subitement riches. » ( Ahmed Cheniki)

« De 1972 à 1978 Abdelkader Alloula est directeur du Théâtre Régional d’Oran (TRO). En plus du programme de création et d’adaptation des années 1970, on lui confie, onze mois durant, le T.N.A (Théâtre National Algérien) mais il est relevé de ses fonctions par le ministre de tutelle qui n’approuve pas son programme d’action et ses tendances révolutionnaires. Il est d’emblée nommé adjoint à la direction des Lettres et des Arts puis reste au chômage jusqu’en 1978. » (Lamia Bereksi-Meddahi)

AbdelkaderAlloula a dit……..

M.H.

Un témoignage d’AbdelkaderAlloula sur son parcours

Il a dit «  (…)j’ai plus de 20 ans de pratique. D’abord, je suis sorti du théâtre amateur. J’ai commencé à pratiquer à partir de 1956 dans une association culturelle qui s’appelait CHABAB. Cela fait donc 30 ans. J’ai débuté ma carrière professionnelle avec la nationalisation du théâtre d’Alger, à savoir en 1963, précisément. Et là, j’ai commencé en tant que comédien. J’ai joué dans plusieurs pièces tant du répertoire national, telles que « Les enfants de la Casbah », « Hassan Terro » de Rouiched », « Le Serment » de Abdelhalim Raïs que du répertoire universel, telles « Roses rouges pour moi » (de Sean O’Cassey) « La mégère apprivoisée », « Don Juan » de Molière et autres… Et puis, à partir de 1965, j’ai commencé au TNA (Théâtre National Algérien) à mettre en scène. Il se trouve que j’étais plus ou moins préparé dans la mesure où dans le théâtre amateur, on touchait à toutes disciplines. Nous étions à la fois interprète, décorateur, metteur en scène et musiciens. Donc, en 1965, j’ai réalisé une pièce de Rouiched, « El Ghoula » (L’Ogresse ») pour laquelle j’avais aussi conçu les décors. Et j’ai réalisé une adaptation d’une pièce de Tewfik El Hakim, « El Soltane El Heïr » (Le Sultan embarassé), une pièce que j’ai adaptée en 1967 à partir d’un texte français des « Quinze Colliers de Sapeic », pièce du répertoire précieux chinois que j’ai intitulée « SikekEddheb » (« Monnaie d’Or »). C’est à partir de 1968 que j’ai commencé à écrire et à faire des propositions au niveau de notre théâtre. La première pièce fut « Les Sangsues », montée en 1969 à d’Oran où qui était plus ou moins une aile du Théâtre national algérien (T.N.A.). Et « El Kobza » (Le Pain) en 1970, pour la première semaine culturelle de la ville d’Oran. J’ai par la suite continué sur la lancée. C’est comme cela que j’ai écrit « Hammam Rabi » (Les Thermes du Bon-Dieu), « HoutYakoulHout » en collaboration avec BenmohamedMohammed.J’ai écrit également « Lagouel » (les Dires, 1980), et tout récemment « Ladjoued » ( Les Généreux »). Entre temps, et puis précisément en 1972, j’ai adapté « Le Journal d’un fou » (de Nicolas Gogol) que j’ai intitulé « Homk Salim » (La démence de Salim). Ceci en ce qui concerne l’itinéraire. En ce qui concerne les moments importants, il y en a deux qui se sont traduits en fait par des crises existentielles.C’est à partir du moment où j’ai commencé à mettre en scène de façon professionnelle et à écrire. Là, j’étais amené à faire chaque fois un bilan, à analyser de façon critique tout ce que j’avais fait, à me documenter davantage. A me documenter tantôt sur la mise en scène, tantôt sur l’écriture théâtrale. Ce sont en fait deux moments importants de mon itinéraire. Il y a d’autres moments, peut-être pas aussi importants mais néanmoins intéressants. Le grand moment pour moi c’est la phase de réalisation de « Lagoual » (Les Dires). Disons donc, à la lumière de tout ce que j’avais fait et tout ce qui m’avait apparu dans le cadre de mes réflexions, de mes discussions avec les spectateurs, j’ai lancé une expérience sans savoir très bien sur quoi j’allais déboucher. Je passais d’un type de théâtre d’action à un autre type de théâtre, un théâtre de narration. » (propos recueillis par Abdelmadjid Kouah, 1985)

La halqa  , l’espace théâtral

Il a dit :« (…) je pars de la « Halqa », considérant que l’activité de type « halqa » comme étant un théâtre complet. Dans la mesure où c’est un théâtre qui se suffit à lui-même. 
C’est une activité qui a ses comédiens, ses interprètes, qui a ses modes propres d’expression, qui a son public, qui a son assise économique, qui a ses terrains, qui en fait se déroule sans l’intervention de l’Etat , sans la subvention, qui vit d’elle-même, se développe selon les moments, les possibilités. Qu’est-ce que je fais ? Je travaille, j’analyse les caractéristiques de cette activité théâtrale et j’essaie en fait de l’élever à partir des acquis…Ce n’est pas du tout une entreprise de type anthropologique. La question fondamentale pour moi, est que ce théâtre-là (la Halqa) fonctionne très bien avec ses publics, avec sa culture et donc il y a des signes précis qui constituent ce théâtre. Donc pour moi, la question fondamentale, c’est de découvrir ces signes et de concevoir des représentations et d’élever le niveau esthétique de ces représentations
. » (propos recueillis par Abdelmadjid Kouah, 1985)

Le meddah , l’acteur de la halqa

En parlant du meddah , il a dit «  (…)Plus je réfléchis, plus j’observe le « Meddah » de la Halqa et plus en fait je retrouve l’art théâtral, peut-être dans ses expressions les moins riches, mais le théâtre est là. Et malheureusement, nous avons pratiqué un type de théâtre qui est en inadéquation, de mon point de vue, de par ses formes avec les signes profonds de notre culture populaire, de notre vécu culturel. Mon travail, c’est d’apporter ma contribution à l’émergence d’un théâtre algérien qui puisse se caractériser et fournir à son tour des éléments nouveaux au théâtre universel. Il se trouve qu’on pratique un théâtre qui n’est pas le nôtre, qui n’est pas encore le nôtre. Il ne s’agit pas d’être étroit, il s’agit de proposer, de déboucher sur des formes théâtrales, sur des tonalités théâtrales qui soient élevées et qui en même temps soient très liées à notre vécu, à notre culture. » (propos recueillis par Abdelmadjid Kouah, 1985)

La langue du théâtre alloulien

 Pour la langue de son théâtre, AbdelkaderAlloula  dit :« En ce qui concerne la langue théâtrale, personnellement, j’ai toujours été intéressé par les aspects linguistiques au théâtre. Déjà en tant que metteur en scène, je privilégiais le travail sur la langue, sur les intonations, sur les couleurs vocales parce que tout simplement je me rendais compte que dans la vie, ce qui était parlé dans ma famille, dans la rue sonnait plus beau que ce qu’on représentait au théâtre. Ensuite, sur le plan de l’écriture, j’essayais de travailler mes phrases, l’agencement linguistique pour convaincre au mieux, pour être le plus juste possible. Par la suite, ce travail, ces préoccupations m’ont beaucoup aidé au niveau de « Lagoual » (Les Dires) et de « Ladjoued » (Les Généreux) où il s’agissait d’investir davantage le mot et de réaliser un travail linguistique plus important. Nous sommes en train de passer à un théâtre de narration. »(propos recueillis par Abdelmadjid Kouah, 1985)

Le théâtre narratif 

 Pour parler du théâtre  narratif, il le définit comme suit : « nous sommes dans un théâtre narratif qui privilégie le mot à l’action, qui induit l’action dans le mot, dans la narration. Et de ce fait, il y a un travail en profondeur sur l’agencement linguistique. » (propos recueillis par Abdelmadjid Kouah, 1985)

La portée du théatre

AbdelkaderAlloula a dit :« Il y a comme ça dans les civilisations, par moment, des arts qui s’induisent dans d’autres dans les arts porteurs. L’art théâtral est porteur de plusieurs arts. Au niveau de l’opéra, par exemple, la musique est porteuse de l’art théâtral. Il est induit dans la musique. Donc, nous avons constaté précisément, alors qu’on cherchait l’art théâtral dans les canons aristotéliciens dans la vie sociale, il était simplement présent, induit dans la poésie. Qu’on se réfère aux manifestations de type théâtral ou à la Halqa, nous constatons que c’est de la poésie dramatique. » (propos recueillis par Abdelmadjid Kouah, 1985)

Le récit théâtral

 Pour AbdelkaderAlloula , le récit est définit comme suit : « Tout est dans le récit.Ce sont des récits hautement poétiques. Je me réfère aux contes que racontent nos mères, nos grands-mères, à la Halqa. Ce sont de grandes épopées, de bons poèmes qui sont dits et chantés. Tout cela se fait dans la langue du peuple, dans la langue populaire qui est très riche, qui recèle un capital linguistique énorme, qui contient souvent des mots qui nous viennent de la Djahiliya. Mots totalement oubliés par l’arabe dit classique. Le problème au niveau de la langue populaire c’est qu’elle n’a jamais été pratiquée de façon précieuse, qu’elle n’a jamais été écrite. Du point de vue de l’utilisation de la morphologie et de la syntaxe, c’est bon. Mais il n’y a pas eu de travail de travail morphologique et syntaxique parce qu’il n’y a pas eu de support écrit… » (propos recueillis par Abdelmadjid Kouah, 1985)

Le djouad

AbdelkaderAlloula  a Dit :« Il m’est difficile de résumer la pièce théâtrale « EL AJOUAD », difficile de traiter de façon synthétique de tout ce qu’elle contient et ce, aussi bien pour ce qui est des idées que pour les préoccupations de recherche dont elle est sous-tendue… C’est pour cela qu’il est, me semble-t-il, préférable d’avancer par étapes quelques grandes idées…Et d’abord pour ce qui est du titre « EL AJOUAD » : cela veut dire, au sens premier, littéral, « les généreux ». Cela résume pour moi, dans une certaine mesure, l’idée centrale, l’essence de la pièce. Cette dernière est une fresque de la vie quotidienne ou disons quelques moments de la vie des masses laborieuses, des petites gens, des paysages humains de tous les jours. Cette fresque raconte et révèle en quoi précisément ces « anonymes », ces « humbles », ces « inaperçus » ou « laissés pour compte » sont généreux ; comment ils prennent en charge avec optimisme et profonde humanité les grands problèmes de la société, bien sûr dans les limites de leurs limites…Quant à l’architecture générale, la pièce regroupe trois thèmes dramatiques entrecoupés de quatre chansons. Chacun des éléments de la pièce est autonome quant à la thématique et le tout est lié par ce que j’appellerai des « éléments fondamentaux de contenu », par des… »lames de fond »…Ce que je peux dire d’autre, c’est que c’est un spectacle de plus de trois heures, une fête des yeux, du cœur et de l’esprit que j’ai écrite et réalisée d’abord et avant tout pour tous ceux qui travaillent et qui créent dans mon pays dans la perspective d’une société libre, démocratique et débarassée de l’exploitation de l’homme par l’homme. » ( propos recueillis par  M’hammedDjelid, 1985)

La trilogie et ses portées

« « EL AJOUAD » et « LAGOUAL » sont des moments actifs, moteurs… La « rupture » avec mes anciennes pièces n’est pas une rupture nue, mécanique…« LAALAGUE » (1967-68), « EL KHOBZA » (1971-72), « HOMK SALIM » et « HAMMAM RABI » étaient déjà porteuses d’éléments embryonnaires de ce genre théâtral sur lequel je suis en train de déboucher. Mes deux dernières pièces sont à la fois des moments de synthèse de mon travail passé en même temps qu’un point de départ. Déjà, « LAALAGUE » (Les Sangsues) et tout particulièrement « HOMK SALIM » expriment activement mon besoin de rompre avec la figuration de l’action, de rompre avec les procédés et trucs traditionnels du théâtre, à savoir les effets théâtraux, la catharsis, l’intériorisation psychologique des personnages, la linéarité de la fable, l’illusion etc…Du point de vue de la langue ou mieux du Verbe, le travail est ici plus abouti, plus… « achevé ». Je cite cet aspect précisément, parce qu’au niveau de ces pièces, la théâtralité est franchement plus induite dans le mot, dans le verbe. Dans mon théâtre, le théâtre est parole et la parole est théâtre. L’attitude du dramaturge, sur le terrain linguistique, est plus profonde, plus sûre, plus engagée.En fait, il n’y a pas de rupture, il y a une vision plus claire. Ma conception du monde, ma vision des choses, des êtres et des événements se sont développées, enrichies, affinées… » ( propos recueillis par  M’hammedDjelid, 1985)

 Le pouvoir du mot , du verbe et de la langue

AbdelkaderAlloula a dit : « « Ce sont là des questions essentielles, questions qui me préoccupent profondément et qui sont d’une très grande complexité. J’ai dis que je rompais ou que j’essayais de rompre avec la figuration de l’action (action au sens métaphysique et aristotélicienne telle que nous l’avons héritée ces dernières décennies par l’intermédiaire du théâtre bourgeois et colonial), une action visualisée et linéaire. Je ne romps pas avec l’action en tant que synthèse déterminée et contradictoire de la vie. La vie est action. Cela veut dire que je cherche à rompre avec l’illusion figurée et progressive de l’action linéaire, avec le mode d’agencement aristotélicien qui consiste à exposer quelques situations ou événements contradictoires à travers un canevas qui passe par l’exposition des faits, le nœud, les péripéties et le dénouement imprévu ou heureux et ce, par le biais de la figuration, de l’identification et de la catharsis. Ce type d’action fait appel artificiellement à des effets théâtraux de captation psychologique du spectateur, à des effets d’illusion et d’identification primaires etc… Le théâtre n’a pas à être un « défouloir » mais un creuset de développement et de créativité du cœur et de l’esprit. Il n’a pas à fonctionner obligatoirement sur les modes de l’illusion et de l’hypnotisme.De ce fait et tout en refaisant jonction avec certaines de nos habitudes et sensibilités artistiques et culturelles ( notre patrimoine, dans une grande mesure a été élaboré et travaille sur des modes non aristotéliciens), je travaille sur les capacités d’abstraction, habitudes et sensibilités auditives, sur les capacités d’entendement, d’imagination, de fantaisie, de créativité, toutes ces capacités héritées, plus ou moins vivaces que porte historiquement notre peuple. Ce faisant et m’inspirant des sources populaires et universelles, je travaille à créer un nouveau statut pour le spectateur algérien, un statut faisant de lui un élément actif et désaliéné dans la représentation. C’est au regard de tout cela que la nouvelle théâtralité que je propose est tout induite dans le mot, dans la parole, dans le récit et l’agencement de la fable. En fait, je « donne à écouter » une ballade, un récit sous des modes particuliers d’agencement théâtral et j’invite le public à créer, à recréer avec nous sa « propre représentation » pendant le déroulement du spectacle. » ( propos recueillis par  M’hammedDjelid, 1985)

La parole dans le théâtre d’Alloula

 Il a dit : « Dans cette théâtralité, il y a simultanément acte de la parole et la parole en acte qui travaille fondamentalement dans le sens de donner à l’oreille à voir et aux yeux à entendre. Il y a, je dirai une dégustation pluridimensionnelle de la parole théâtrale. Nous suggérons au spectateur et cette suggestion le pousse à voir dans la vie avec les yeux de son cœur et de son intelligence, avec les yeux de son expérience, de son capital propre de vécu, de connaissance, à la fois la société et lui-même.Là, il y a lieu de préciser que ce n’est pas du « théâtre radiophonique », ni un ensemble de contes conçus pour être entendus mais du Théâtre, à savoir qu’il y a un jeu à voir, un théâtre donc qui privilégie les capacités auditives et de ce fait « imaginatives » aux facultés visuelles. L’interprétation est simplifiée, épurée au maximum pour atteindre par endroits des niveaux élevés d’abstraction afin de ne point prendre le pas sur la puissance suggestive du verbe, du dire. Mais il y a théâtre, il y a interprétation corporelle, gestuelle et cette dernière est par moment extrêmement intense, plus intense que dans les modalités théâtrales de type aristotélicien.La grande différence est que le jeu est soumis au texte, un texte qui fonctionne comme une partition, une partition fondamentale à plusieurs symphonies. IL y a dans et par le texte un investissement maximum sur le choix des mots, de l’agencement des phrases, des couleurs vocales et intonations, de gestes et de postures etc… Tout cela afin que le texte soit « porteur de théâtralité » aussi bien sur scène que dans la tête du spectateur.Un des grands objectifs au niveau esthétique est de donner à voir un mouvement chorégraphique de grande éloquence sociale et artistique et de donner une véritable symphonie de couleurs vocales à voir et à entendre. Il y lieu d’ajouter que dans le sillage de cette quête esthétique, il y a la fable et tout ce qu’elle contient comme densités humaines, subjectives, idéologiques. » ( propos recueillis par  M’hammedDjelid, 1985)

  Le nouveau «  genre » dans le théâtre

AbdelkaderAlloula a dit : «  (…)ce nouveau « genre » si tu veux, nous pose d’énormes problèmes pratiques et théoriques, à tous les niveaux et sur tous les terrains.D’abord à mon niveau propre, il y a de nombreuses questions qui se sont posées et qui se posent encore et elles sont loin d’avoir trouvé des réponses. Par le fait que la représentation théâtrale repose fortement sur le récit, le temps théâtral ou ce que l’on avait l’habitude d’appeler unité de temps, n’est plus le même… à savoir que, dans le temps d’une représentation, un peu comme la nouvelle ou le roman, on peut donner représentation de toute une vie. Et là se posent des questions ardues d’agencement du récit, d’entraînement dialectique du récit, de maîtrise des relations contradictoires dans le récit, des questions de dosages de monologues et envolées lyriques. Ce sont là, par exemple, des questions sur lesquelles nous n’avons pas encore de propositions conséquentes.Ce théâtre pose problème au niveau de ses éléments constitutifs, à savoir la fonction du décor, la fonction de la musique de scène, la fonction même de la scène avec son cadre et ses installations techniques (sonorisation, éclairage, coulisses etc…). Pour les décors, il n’est plus question d’illustrer des lieux dans la mesure où nous cherchons surtout à les créer dans la mémoire créatrice du spectateur, non sur scène. La fonction vivante et évolutive du décor sera donc de suggérer à peine sans perturber l’imagination, sans capter ou emprisonner de façon hypnotique l’attention et la créativité du spectateur. Le décor, dans la dynamique théâtrale, tendra à créer un lieu visuel entre les moments et les fables de la pièce et en même temps à s’autonomiser, se présenter comme la griffe ou un des aspects visuels de la pièce. Pour « EL AJOUAD » par exemple, le décor est comme un sigle…Ce théâtre pose problème pour les publics, en fonction des tranches d’âge et des appartenances de classes. Les plus vieux de nos spectateurs retrouvent très vite, « lisent » très vite le « goual », le « meddah » et la « halka ». Les plus jeunes voudraient qu’on jalonne nos fables de plus d’actions. Ce genre théâtral apporte avec le récit une somme importante d’informations sur l’activité sociale des personnages mis en scène et donne de ce fait des représentations complexes et riches de la vie, des luttes sociales, des aspirations profondes…Ce théâtre implique par voie de conséquence un parti pris, une position de classe lisible en dernière instance. Les spectateurs se reconnaissent et se positionnent. Un même tableau est reçu différemment. Certains spectateurs nous demandent de l’alléger, de l’écourter pour ce qui est du texte ou du spectacle ; d’autres nous demandent de l’allonger, de le renforcer.Je voudrai rappeler que la pièce dure trois heures et quinze minutes et la tonalité générale de la représentation est la fête dans toutes ses dimensions. Quelques uns la trouvent longue et la plupart la trouve de durée normale. Beaucoup de spectateurs reviennent voir la pièce deux ou trois fois et considèrent qu’ils enrichissent à chaque fois leurs représentations.Mais le plus gros problème réside dans l’interprétation. Le comédien est interpellé dès le départ dans ses potentialités d’intelligence et de conscience. Il n’est plus un outil passif d’expression mais un créateur au sens plein du terme. Le texte-partition l’appelle à déployer au plus profond et au plus large ses capacités, sans aliéner le texte ou s’aliéner au texte. Le comédien n’a plus à « donner l’illusion » d’être un personnage ; il n’a plus à s’exciter des passions et des états d’âme du personnage ou à aliéner sa personnalité à ce dernier. Il a à dessiner avec le corps, la voix et sa pensée, les contours d’un personnage ; il a à montrer pendant toute la durée de sa prestation qu’il est et demeure un comédien, un comédien se livrant à une performance artistique, une performance qu’il donne comme jouissance fondamentale au public. Le comédien, sujet et objet d’art, est ici un intermédiaire entre le spectateur et la représentation, à la fois porteur et porté par le texte. Il est donné à voir comme comédien, mais il n’est plus une cible pour le spectateur, mais guide de la représentation. Tout ce qui fait le fort du comédien dans la représentation de type aristotélicien, à savoir « le pouvoir de créer l’illusion » n’a plus sa raison d’être dans ce genre. La notion de jeu face à un quatrième mur qu’est le spectateur devient désuète, archaïque. Ici et pour notre cas, le comédien peut s’observer en train de jouer un peu comme à la manière du théâtre précieux chinois. IL peut se placer franchement face au spectateur. Il peut, comme « Ghachem » jouer avec une chaise vide. Il peut distancier et se distancier à plusieurs niveaux. » ( propos recueillis par  M’hammedDjelid, 1985)

La destination de l’écriture théâtrale d’AbdelkaderAlloula

Il a dit : « Pour notre peuple, avec une perspective fondamentale : son émancipation pleine et entière. Je veux lui apporter, avec mes modestes moyens et à ma manière, des outils, des questions, des prétextes, des idées avec lesquels, tout en se divertissant, il trouve matière et moyens de se ressourcer, de se revitaliser pour se libérer et aller de l’avant. En fait, j’écris et je travaille pour ceux qui travaillent et qui créent manuellement et intellectuellement dans ce pays ; pour ceux qui, souvent de façon anonyme, construisent, édifient, inventent dans la perspective d’une société libre, démocratique et socialiste. Mes héros sont des gens de tous les jours, des gens du commun, ceux qui, en fait, font et défont la vie de tous les jours. » ( propos recueillis par  M’hammedDjelid, 1985)

Les personnages du théâtre d’Alloula

AbdelkaderAlloula a dit :« Je les ( les personnages du théâtre d’Alloula)  tire du quotidien, de la réalité de tous les jours. Evidemment, il y a un traitement artistique, esthétique, tout le travail complexe de création. Mes personnages partent, procèdent du réel et la réalité du spectateur est leur cible. La vie, la réalité si tu veux, pour peu qu’on y soit profondément ancré et pour peu qu’on sache l’écouter et la considérer en profondeur, nous apporte constamment des matières, des thèmes, des idées, des prétextes qui irriguent notre conscience sociale et artistique et nous pousse à créer, à imaginer, à inventer. Ceci est valable à mon sens aussi bien pour l’art que pour la science.Quant à mes personnages, ils « travaillent » sans arrêt au théâtre sur le vécu social et profond du spectateur. Il y a une part importante de fiction mais il ne faut pas se tromper. La part de fiction est conçue pour colorer , pour déformer afin de révéler l’essence des personnages, pour mettre « en valeur » l’itinéraire des personnages et la profondeur ou la densité des rapports et situations, pour extraire la moelle épinière du vécu dans toutes ses dimensions, dans ses dimensions critiques, complexes, particulières, en devenir.La fiction, irriguée par la réalité vivante, se déploie par l’imagination, la métaphore, l’association d’idées, la fantaisie, pour révéler, éclairer sous des formes esthétiques particulières les profondeurs, les densités, les nuances, les dynamiques sociales et humaines. A tout cela, il faut des langages, des formes, des couleurs, des gestes, des symboles, des lieux…Chez moi, la fiction est un outil d’abstraction, d’objectivation tendant à révéler, à démystifier, à questionner… Prise en soi, indépendamment de notre conscience et de notre réalité, cette fiction travaillerait alors à tromper, à masquer la vérité, à aliéner.Les modèles que je propose sont puisés dans la vie de notre peuple. C’est dans ses couches sociales les plus déshéritées que la société se reflète le mieux dans ses préoccupations, dans ses luttes, dans ses contradictions, dans ses valeurs, dans ses espoirs. C’est dans ces couches et par elles que notre société se saisit le mieux, qu’elle est la plus « apparente », la mieux présente et la plus dense et forcément et aussi parce que j’y suis le plus ancré, les personnages y sont puisés dans ces couches là. Ces personnages, lorsqu’ils sont théâtralisés, peuvent devenir extrêmement éloquents et permettent à la représentation artistique d’assumer une fonction sociale très large. Il faut dire que l’entreprise est difficile et ce, pour plusieurs raisons. Il faut y être en permanence, y vivre, pratiquer ce terrain, l’interroger, se documenter, faire des enquêtes, observer. C’est pour cela, entre autres, que chaque pièce me demande en moyenne deux années de travail. Je dois dire aussi que j’écris difficilement, qu’à ce niveau je suis très laborieux et difficile. Sans doute parce que nous sommes des natures très subjectives, inquiètes…Mais il y a, à mon sens, un problème plus préoccupant, en dehors bien sûr, des graves problèmes d’étude et d’exploitation du patrimoine, c’est qu’il y a très peu de littérature dans notre pays et de par le monde qui « attaque » le problème sous l’angle des héros du quotidien. Nous n’avons pas une grande littérature, des traditions littéraires à ce niveau, sauf peut-être dans les vieux fonds démocratiques et populaires des traditions orales, un vieux fonds qui reste à exhumer, à connaître. Il y a donc peu de choses au plan de la littérature algérienne ou arabe qui révèle ces couches populaires et déshéritées et qui élève le citoyen simple et l’ouvrier ou le paysan pauvre au rang de héros, un rang qui n’a pas besoin d’être accordé mais qui est réel.En fait, mes plus grands héros font partie des petites gens, des anonymes, des ignorés, des laissés pour compte… C’est de la « grisaille » du quotidien que suintent, s’assument et se réalisent les plus grandes valeurs, les plus grandes vérités et c’est en ce sens que les patrimoines populaires sont porteurs d’universel. » ( propos recueillis par  M’hammedDjelid, 1985)

Le patrimoine théâtral

AbdelkaderAloula a dit « Et puis, il y a le patrimoine vivant, celui qui est constitué par les hommes de mon pays qui, quotidiennement, construisent le présent et l’avenir. En ce sens, j’assume tout l’héritage de façon consciente et critique en fonction surtout de l’avenir, du progrès, de la liberté et du socialisme. C’est pour cela que j’ai une affection très particulière pour le patrimoine populaire dans tous ses éléments constitutifs. C’est sur ce terrain que je vibre et adhère le plus. Sorti de ce terrain dans lequel j’ai vécu, je me sens infirme ; il me manquerait certainement une dimension vitale en tant qu’homme et en tant qu’artiste. Toutes les fois où il m’est arrivé de voyager à l’étranger, cette « vase culturelle » devient mon étalon principal de mesure, ma lunette d’appréciation et de compréhension. C’est par le biais de cette culture populaire que j’ai pu le mieux voir et le mieux apprécier la valeur des autres peuples et de leurs cultures. Je n’arrête pas d’apprendre et de découvrir à ce niveau.

J’ai découvert dans la sagesse populaire, par moments résumées en quelques mots, de grandes pensées philosophiques, de grandes vérités. J’ai vu des signes graphiques exécutés nonchalamment par un artisan et contenant d’extraordinaires charges humaines et esthétiques, révélant des expériences, des savoir-faires, une sensibilité et une habileté stupéfiantes. J’ai vu CheïkhaRimiti (chanteuse populaire) à l’âge de 60 ans exécuter une dizaine de danses différentes l’une à la suite de l’autre et de façon prodigieuse. Le cri, les véhémences gestuelles et rythmiques du « Alaoui » (danse populaire de l’ouest algérien) sont porteuses de sommes indicibles de valeurs et de non dis profonds, inaltérés et magnifiques…Dans le transfert de cette culture populaire dans et par laquelle je me retrouve, il peut y avoir certaines erreurs d’idéalisation, de schématisation, de méconnaissance, voire d’attitudes forlkloriste ou archaïste. Je crois qu’au niveau atteint par notre expérience et notre recherche, certaines erreurs sont inévitables et par moments nécessaires. L’essentiel à ce niveau, est surtout dans la perspective du lendemain pour laquelle nous luttons.Enfin, sur cette question du patrimoine et de façon particulière, je considère que B. BRECHT a été et reste de par ses écrits théoriques et son travail artistique, un ferment déterminant dans mon travail. J’ai presque envie de dire qu’il est mon père spirituel, ou mieux encore, mon ami et mon fidèle compagnon de route. ( propos recueillis par  M’hammedDjelid, 1985)

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